Savoir faire la pluie et le beau temps ... [Libre]

Hingrid, comme la plupart des démons, avait été attiré par le petit carnage qui œuvrait présentement. Le sang, les démembrements et les confrontations n’étaient pas chose rare dans les rues de Kryas, mais même, il y avait toujours cette effervescence de savoir qui allait survivre, qui allait affliger le plus terrible châtiment, si des morceaux resteraient sur place et ce qu’on pourrait bien en faire. Parfois la peau des cadavres servaient à faire quelques reliures de livre spéciaux, alors que les os et autre pouvaient à loisir décorer quelques petits bijoux… ou armures. La démone avait déjà vue un vieux démon aigris faire collection d’un nombre impression de main…

Mais l’attention de la jeune femme, face au spectacle qui s’offrit à elle, perdit toute notion de rêverie. Après avoir déglutit, l’odeur et le son lui parvient au nez et oreilles, mais aucun sens n’était plus éveillé que sa simple vue. Ses yeux verts parcouraient inlassablement ce qui semblait l’être dominant du combat. Il n’était même pas question de sa tenue inhabituelle ! C’était toute sa personne. Son élégance et son sadisme, sa manière de faire taire, la facilité à laquelle il arracha les deux bras du bougre, qui n’était pourtant pas fait de paille, lui envoya sur ses propres articulations une sensation hautement déplaisante et curieuse.

Tassant quelques voyeurs de son chemin, pour s’approcher, elle respira à pleins poumons l’odeur métallique du sang, y goûtant presque. Et pendant que, à la suite, il entrait l’un de ses bras dans le torse du maraud, ses lèvres se séparèrent dans un « ho » silencieux. Ça lui rappelait la manière donc elle prenait le cœur de ses esclaves… bien qu’elle – se protégeant au passage d’une gerbe de sang – ne faisait pas exploser ses victimes… mais y mordait plutôt à pleine dent.

Se tenant dans l’ombre d’un grand gaillard puant, la demoiselle se mit à lisser la pointe de ses mèches, dans un tic somme tout nerveux, la pointe de quelques dents noirs (et lisse !) mordillant brièvement sa propre lèvre.
Quelques choses pulsaient à ses oreilles, comme le son d’un cœur qui bat. C’était inhabituel. Ils ne fuyaient donc pas ?! Fronçant les sourcils en les traitants de fou masochiste, la demoiselle se laissa bercée un instant par la voix, l’écoutant avec attention, sifflant pour elle-même des quelques informations qu’elle contenait.

Quand les derniers ennemis explosèrent, la jeune démone ne bloqua pas l’arrivée du sang contre son armure, ses cheveux et son visage, s’y laissant plutôt porté, bien que l’idée lointaine de recevoir un morceau ne lui dise rien. Elle fut déçu qu’il s’essuie le visage un bref instant, des idées tourbillonnant dans son crâne noir de démone avec d’étranges issues, mais sans doute n’était-elle pas la seule car quelques unes qui se trouvaient là semblaient avoir du mal à se contenir. Pisssh...

L’humeur pimpante de la jeune femme se refroidit envers ses congénères, le juge partant d’un pas tranquille, la trace de ses pas souligner quelques instants par le liquide rouge qu’il y avait sous ses pieds.

La demoiselle avala, remontant précipitamment une rue en sens inverse, cherchant les petits recoins de ruelles qui lui permettraient de rattraper ce si… charmant juge. Quelques fleurs éparses de sa chevelure glissèrent, mais Hingrid n’y fit pas attention. Ne serait-ce que pour le contempler encore, elle se changea en ectoplasme pour aller plus vite et traverser les murs, tombant sur les ménages étrange des démons, se retrouvant nez à nez d’ailleurs à une vieille harpie qui lavait un autel.
Puis le magnétisme se fit sentir. La demoiselle arrêta dans le fond d’une ruelle, redevenant de chaire, toujours en armure, comme de coutume. Ses yeux cherchant le spécimen.

Ha ! Oui ! Le voilà… elle déglutit encore, cherchant à être discrète. Mais de surprise, il parla. D’habitude, elle se plaqua contre le mur. Mais soudain la peur lui saisit le ventre. Et si il n’aimait pas qu’on le suive, qu’on l’observe, qu’on en fasse son obsession? Allait-elle avoir le même sort que ses pauvres et faibles démons… ? Était-elle jolie, au moins? Comme si la question se posait, la jeune femme sembla soudain incertaine de la marche à suivre. M’enfin, elle ne résista pas longtemps.

Un tambour dans les tympans, le teint peut être rosé, les doigts toujours serrés sur quelques unes de ses longues mèches, elle osa sortir son nez (et le reste du corps, d’ailleurs) de l’ombre où elle se trouvait pour avancer lentement dans la lumière, et la chaleur de Kryas, du sang encore plein la vue.

Occupée à presser sa langue râpeuse contre son palais, elle ne dit rien, tétanisée à l’idée qu’il pourrait la détruire sur place…
Il ne lui vint même pas à l’esprit, obnubilée, de devenir le fantôme qu’elle devenait à chaque fois, mais comme un petit signe, ses cornes poussèrent lentement mais sûrement de chaque côté de son crâne, toutes les neufs bien à vue, noirs comme le reste de ses os.

Que dire… que dire ? !

« … J… joli tour, dans la rue… »

Et voilà notre démone qui aurait bien voulu, pour l’une des rares fois, se retrouver ailleurs que six pieds sous terre.

Hingrid contempla les ténèbres qui entouraient peu à peu le juge comme un voile uniforme, profond et insondable. Une matière étrange, dangereuse. Immobile, ses yeux suivirent ses gestes et sa démarche sûr et calme, son approche intimant à ses mains de s’agripper d’avantage à ses mèches, la pointe de ses doigts manquant d’en couper quelques cheveux, voir de s’auto blesser les paumes, mais elle n’y pensait pas, pas plus quand elle vit des gants qu’il mettait avec aisance. Remontant son regard vers son visage, elle souligna l’étrange haut de forme qu’y venait d’apparaître brièvement, alors que dans l’ombre du chapeau, il y avait des tracés sur le front du sadique personnage, rapidement, elle en remarqua également sur sa gorge, mais elle fut soudainement rappelée à la réalité par l’expression froide de son visage, bien que ses yeux ne pouvaient cesser d’attraper les moindres particularités.
Son teint, ses iris…

La tension de la jeune démone monta d’un cran. Se faire dévisager ainsi avait quelque chose d’inhumain. Elle laissa tomber ses mains de chaque côté de son corps, inquiète, soulignant du bout des doigts la garde de son poignard, bien qu’elle ne croyait pas avoir grand chance si une confrontation venait à survenir, encore faudrait-il qu’elle ait la présence d’esprit de devenir immatérielle… voilà qui était une très bonne idée. Pendant qu’elle se faisait des plans d’invasions un peu grandiloquentes, son regard s’agrandit, son souffle devenant inexistant. Un sourire !
Mais même s’il semblait plus sympathique, la réponse n’était pas rassurante. Les cornes de la demoiselle, déjà bien déployées, ne pouvaient être plus éloquentes quant à son sentiment de danger, mais soudainement, comme si on venait de lui retirer toute notion existentiel, la vue de sa chevelure mise à nue et de sa main de retour à l’air libre, diantre, suffit à la soulager de n’importe quelle idée tragique qui soufflait dans son crâne.
C’est quand un courant électrique passa dans son poignet qu’elle ouvrit légèrement la bouche pour respirer plus facilement. La main du juge était chaude et douce, comme ses lèvres. Mais quelque chose fit tilt chez la demoiselle, l’idée qu’il devait en avoir vue bien d’autre froissant la démone. Pourtant…

Elle souleva légèrement les doigts, ne voulant pas érafler la peau basanée du puissant démon, du banal être qu’il était.
La demoiselle se trouvait soudain bien pâle à ses côtés. Sa chevelure blanche, ses yeux verts-gris, sa peau diaphane à peine nuancée de rose. Bien sûr il y avait son armure de pierre volcanique, noir comme seul pouvait l’être des pierres qui venaient des forges de l’enfer, mais bon. Les pauvres fleurs rosées qui parsemaient ses cheveux venant altérer l’image du danger qu’elle pouvait bien représenter, mais à quoi cela pouvait-il servir, de toute façon, des fleurs en enfer, il n’y avait même pas de papillon, ici…

Elle n’avait pas parlé depuis un petit moment et quand il lui fit savoir qu’il voulait volontiers savoir son nom, ou peut importe, qui elle était, elle se rappela soudain qu’elle n’avait aucune fonction prestigieuse, aucune place dans l’armée, dans les commerces, dans l’espionnage, dans la chasse… rien. Une honte sournoise se planta dans ses entrailles, la narguant jusque dans une boule qui se forma dans a gorge.

Elle sentit ses pupilles se dilatée dans le regard doré du démon, son malaise s’envoler comme la main de son supérieur caressait sa joue. À croire qu’elle était prête à lui faire des enfants … cette pensée la fit soudainement sourire - discrètement, certes -, mais il ne fallait pas trop rêver non plus.

Allez… allez, il fallait qu’elle répondre, il allait croire qu’elle n’avait pas de langue. Pas de voix. Pas de vie… elle ferma les yeux un instant. Aillant couper le contact avec le regard ardent du juge, il lui semblait ses pensées plus clair, même si l’envie de s’y retrouver s’insinuait. Passant faiblement la langue sur ses lèvres qui lui semblaient soudainement sèches, elle souffla son nom, comme si l’idée d’élever la voix n’avait aucun sens.

Ni grade, ni caste ne suivirent. Peut être l’idée d’essuyer du mépris la fit déglutir et enfin, ouvrir les yeux, mais elle nota inconsciemment les cheveux qui lui paraissaient soudain libre, l’envie d’y glisser une main fourmillant dans sa paume qui était toujours inerte, sagement inerte…

Comme une gorgée d’eau glacée, le soulagement de ne pas voir du dégoût sur le visage du juge l’aida à se détendre, elle qui avait craint pendant un vague moment qu’il ne parte par l’absence de fonction liée à son nom. Il lui parut soudain comme une urgence de faire quelque chose de sa vie. Bien que, naturellement, toutes ses pensées apparaissaient dans un coin éloigné de son esprit, flottant de manière incertaine, disparaissant au profit des yeux dorés qui l’observaient avec attention. Elle suivait le mouvement de son regard, silencieuse, déliant ses doigts inoccupés avec lenteur.

À Kryas, cité des enfers, il faisait chaud. Il n’y avait pas d’humidité apparente, mais la chaleur sec avait de quoi faire tourner la tête de ceux qui n’y étaient pas habités, à commencer par les esclaves et prisonnier… si prisonnier les démons faisaient. L’air était irrespirable pour la plupart des étrangers, toxique et brûlante. Les démons en gardaient une résistance innée, puisque c’était leurs milieux de vie. Cela dit, en cet instant précis, Hingrid semblait avoir des difficultés respiratoires légères. Ce n’était pas de la poussière dans sa gorge, ni un problème d’anticorps, aucun enflamment n’entravait l’air, il semblait plutôt qu’une émotion réchauffait sa peau blanche, sa bouche à peine ouverte par le pouce du juge gardant la douceur du contact, tout en rêvant d'en avoir plus.

Elle trouva soudainement qu’il parlait trop, mais puisqu’il parlait bien… la demoiselle lui pardonna, sensible à tous ses charmes, de la voix au contact… en passant bien sûr par sa simple et pure présence. Tout en sentant le mur contre son dos, elle le fixait qui s’approchait, inspirant le plus doucement du monde, cherchant la présence de son souffle sur sa peau…
Le contact fut si bref, si petit, que la jeune femme sentie l’espace d’un moment une cuisante frustration. Pendant ses quelques secondes, elle se vit lui entrer la pointe de ses doigts dans la peau du dos, l’amener contre elle sans douceur, morde son épaule, son cou, sa chaire. Déchirer ses vêtements et le caresser avec son propre sang, le… imposer ses lèvres et sa langue contre les siennes, lui…

Mais sa voix la ramena à la délicate réalité, à la piètre distance qui séparait ses lèvres de sa gorge, à l’odeur de ses cheveux et de sa peau, au chuchotement qui chatouillait l’intérieur de son oreille, au frisson qui parcourut son dos sans permission, au battement de son cœur qui imposait son rythme, travaillant pour deux.

Avec grand soin, la jeune femme fit passer ses mains sous le haut de corps du démon basané, décident de profiter des pâles centimètres qui les séparaient pour frôler le début de ses hanches, frappée par la chaleur de son corps et les formes qu’elle sentait sous ses paumes, la demoiselle gravissant son ventre en lenteur, obligeant la pointe de ses doigts à se tenir éloignées…

Elle se sentait timide, mais ne cessait de le fixer avec attention… Ce qu’elle aimerait passer sa langue sur toute la longueur de son cou, y embrasser les grandes lignes...

Les yeux de la demoiselle se rétrécirent légèrement, un instant son visage afficha un air dur, perdant de son superbe état d’éblouissement… il n’avait cas pas être aussi provocateur! Tout était de sa faute, son visage, ses épaules, son teint, ses yeux! Ce juge semblait avoir été mis au monde pour se faire désirer. Hingrid aurait profité de la situation, soudainement, pour traverser le mur et le laisser pantelant, seul et stupide, la tête contre les briques… ses mains chaudes contre ses avants bras, cependant, la firent hésiter, fort heureusement. Parce que… parce que ses paumes étaient douces, que ça poigne n’avait rien de brusque et qu’un ravissant sourire apparut sur son visage.

La jeune femme sentie des picotements autour d’elle, et baissa fugacement les yeux sur ce qui se passait, curieuse, inquiète, intéressée. La surprise était certaine. Ses cornes, qui avaient finies par revenir se tapir dans sa chevelure, sortirent légèrement, mais la démone ne ressentait pas de signe physique qui semblait menaçant… puis, elle se sentie légère. Ses yeux suivirent avec surprises son armure aller se déposer un peu plus lui, soutenu par cette… matière? Noire. Elle eut tout juste le temps de penser que c’était amusant au vue des paroles précédentes du beau démon… plus perturbant alors, l’approche de ce dernier.
La demoiselle ne savait que faire de ses mains, mais elle n’y pensait pas, son cou sensible parcourut de frisson.

L’envie de s’éclipser partie en fumer, la langue lui laissant une sensation chaude contre la peau. Se mordillant les lèvres, les yeux dans d’étranges vapes, elle sentie ses bras faire le tour de son corps et l’amener contre le sien. Sans son armure, elle pouvait sentir avec plus d’aisance ce qui se cachait sous les vêtements de l’homme aux yeux dorés. Mais alors que ses sens s’éveillaient encore plus, ses oreilles tintèrent d’agréable surprise…

Inspirant doucement, déjà sous le charme de cet entité du mal, elle attendait son contacte, le désirant particulièrement…
Qu’ils fusent dans une rue, près d’une ruelle, ne dérangeait pas Hingrid. Peut être, si elle se fut trouvée avec quelqu’un de plus banale, aurait-elle proposée endroit plus confortable, mais aillant peur d’ouvrir la bouche, d’interrompre ce moment, elle n’osait dire quoique ce soit. Qu’il se fût alors arrêté tout près, son souffle mêlé au sien, lui fit battre son cœur durement. Goûtant à son haleine fraiche, son corps tout contre le sien, elle fit glisser ses mains sur ses épaules, frôlant son cou du bout de son pouce, y ouvrant une pâle ligne rougeâtre…

Le coin de ses lèvres entrouvertes tressaillit à la faible odeur du sang, son nez venant glisser contre le sien avec lenteur, humant son odeur une deuxième fois.
Une sensation se propageant lentement dans les mâchoires de la démone, dans sa main qui se glissait dans la chevelure noire et dans son ventre, qui frôlait le sien…

Elle fit glisser sa bouche contre celle de Tyki, comme si ce fut un fruit à la pelure duveteuse et délicate, y mettant peu de pression.
L'une de ses mains se retira, venant se déployant sur son torse, le souffle de la jeune femme avaler comme elle venait à happer tendrement les lèvres du démon...