Un corbeau croassa sur une canne à pêche, le fil de cette dernière décrivant des rides sur la surface calme et prospère de l’eau. Les poissons nageaient paresseusement, de petits éclairs argentés signalant leurs présences sans histoire, le bourdonnement de quelques insectes stoppés de ci de là par la faim de l’oiseau noir. La canne était accrochée au bastingage, ne remuant d’aucune activité. Au fond du petit bateau de pêche, une silhouette dormait sur une couverture épaisse de laine, bercée par quelques vaguelettes amicales. Une brise chaude et câline soufflait, l’oiseau secouait ses ailes pour mieux se laver les plumes, alors que la personne qui sommeillait au soleil tentait lentement d’ouvrir les yeux, son corps si bien reposé qu’il n’y avait aucun doute sur le confort de l’installation…
Une ancre moyenne retenant l’embarcation au fond de l’eau, contournée par quelques petits poissons colorés. De bruit d’entre choc et un long soupire plus tard révéla une jeune femme qui se levait, n’aillant pas grand-chose à faire d’autre que de s’étirer avec contentement. Qui se souciait des pêcheurs ? Un pirate devait sans doute s’intéresser à plus palpitant que de piètres prises à l’odeur marine et les volatiles friands de chaire fraîche qui voletaient au dessus de sa tête. La pensionnaire sourie, s’étirant une deuxième fois de tout son long, pour se pencher en ramassant ses effectifs. Dague, arc, flèche…
La demoiselle n’avait pas d’autre chose à faire aujourd’hui, et depuis quelques jours, qu’à s’entraîner au tir à l’arc en visant les habitants de la mer. Il suffisait d’attacher une corde après la flèche… et d’attendre le bon moment pour décocher.
Les premières tentatives n’avaient pas été très fructueuses, mais à mesure qu’elle rejetait ses prises dans l’eau, des bêtes plus grosses, sans doute charognards, ainsi que quelques crustacés attirés par la pourriture, s’était aventurés près d’elle. Les cibles étaient plutôt diversifiées, c’était agréable. Et puis elle ne gaspillait pas vraiment, selon elle, à la vitesse ou le courant emportait les morts et les gourmands s’en appropriant les droits de consommation.
En tant qu’exercice matinale, ce n’était vraiment pas fatiguant. Et ça lui faisait un déjeuné gratuit… elle n’était pas en amour avec le poisson crue, mais ça avait l’effet escompté, et elle n’osait sûrement pas faire un feu sur une surface de bois. Ça non…
M’enfin, le pire était sans doute les arêtes, qui pouvaient se dissimuler dans les morceaux les plus traites. Aussi la demoiselle prenait soin de pêcher les poissons qu’elle avait aperçu dans les marchés, non loin. Pas question de s’empoisonner…
Bien entendu… avant de partir, elle avait fait provision de pomme bien de chez elle. De quoi gaver un esprit en manque de consistance et de goût. Mais passons.
L’eau était turquoise, un paradis de couleur et de vie. Pensait-elle en ramenant sa flèche, une prise embrochée grouillant encore. Constatant son amélioration, elle enleva la bête et la remit dans un « plouf! » à l’eau, simplement… le temps était divisé. Le soleil parfois ce couvrait rapidement de nuage et revenait soudain, laissant une drôle d’impression de va et vient lumineux.
C’est quand Ève leva les yeux au ciel que son regard tomba sur un amoncellement de nuage couleur plomb, à l’horizon qu’un frisson comme jamais la surpris soudain et, tel l’esprit du marin devant un cyclope, se dit qu’il était temps de rentrer à bon port, même si ce dernier était infesté à ras bord de personnages probablement sanguinaires, pervers et fourbes. On parlait de pirate, quand même… Ève se doutait bien que ça ne pouvait être de gentils stupide. Noerphilie était trop… différent pour avoir un aspect onirique de ce genre. On était loin de Peter Pan…
Montant l’ancre, roulant le fil, elle s’assit au milieu et, de ses bras qui allait sans doute afficher un bronzage de zèbre, elle rama jusqu’au port.
*
La température était humide, mais contre toute attente, aucun éclair ni pluie ne venait voiler la place. Le ciel se contentait d’une masse informe, grise foncée et menaçante. Ève aillant délaissée la pêche, elle se promenait maintenant dans les rues avec une main sur la garde de son poignard, l’arc sur son dos. Elle sentait bien les regards pesants, maladifs et saouls de certain pirate. Mais d’autre avait une lueur vive dans l’œil qui ne lui inspirait rien de meilleur. Les lanières de cuirs qi parsemaient son corps n’en démordaient pas et restaient en place, fidèles…
Le vent était levé, soufflant sans arrêt, avec force et entêtement, sur tout ce qui se trouvait là. Le corbeau qui suivait la pensionnaire n’en démordait pas moins pour restait à une piètre distance de la jeune femme. Le tatouage de son front éclairait faiblement son visage, laissant ses yeux gris parcourir les bâtisses briller comme des perles. L’humeur du bazar était à la négociation, à la prudence et à la violence. Rien de plus normale pour des lieux dangereux où butins diverses faisaient offices de marchandises. Règlement de compte n’était sans doute pas chose rare, ici.
S’aventurant dans quelques dédalles aux allures délaissées, pour avoir du calme et une vue d’ensemble, la demoiselle marchait d’un pas lent, prudent.
Quand le bruit de la place s’estompa peu à peu, elle se sentie rassurée. Une odeur de vieille vidange et de pot de chambre dont on avait jeté le contenu par la fenêtre dans les caveaux régnait. Quelques bruits sourds venaient des bâtiments formant des ruelles entre eux. L’oiseau croassa, battant des ailes, s’élevant vers la nuit au fond du petit passage, sa couleur se fondant dans le décor, soudain inexistant.
Dans sa seconde main, son sac de pomme se tenait serrer entre ses doigts, potelé. Il ressemblait à une bourse remplit d’or, ce qui n’était pas des plus intelligents dans un milieu comme celui-ci. Dans une ruelle comme celle-là.
Pour une deuxième sortie, on peut dire qu’elle n’avait pas choisie Disney land…
- Qui êtes-vous?Elle n’eut pas le temps de répondre, de réfléchir, qu’un deuxième croassement fendit le silence qui suivit la question. Elle avait marchée jusqu’à un croisement, et soudain, immobile, elle regardait l’oiseau planer dans son champ de vision, comme un signet sur sa mort… ou une drôle de situation. Resserrant sa main sur sa garde, sortant légèrement le début de la lame, elle tourna sa langue une ou deux fois.
- Euh… Rien qui ne soit menaçant… Ça voix n’était pas très… imposante, sûrement pas celle d’un grand combattant qui en avait vue d’autre. Le volatile se percha sur l’exacte extrémité du pommeau de la dague, la tête curieuse, observant en haut, en bas, à gauche, à droite, tournant de manière sec, excité, scrutateur, rapide.
La jeune femme fit quelques pas de côté, se plaçant contre un mur pour mieux se défiler en cas de besoin. Elle n’avait pas une expérience net et précise d’une bagarre, mais, comme n’importe qui, elle n’allait quand même pas ce laissé faire…
Encore fallait-il que ça se produise…
L’esprit d’Ève était submergé d’hypothèse. Secouant la tête pour chasser ses idées, elle fit une grimace pour elle-même et s’enleva du mur, droite, lâcha son arme, ouvrit le sac de pomme, plongea la main dedans et en retira une, puis, dans l’absurdité la plus pure, se mit entre les intersections… et la tendit à qui voulait, bien qu’elle ne voyait pas grand-chose.
Autant prendre par surprise…