Un bal masqué à Giran [Tyki Mikk, Sunaï + libre si demande]

La ville de Giran... Une ville très intéressante, magique, du fait qu'il était impossible qu'il y ait de conflits. Ainsi, cette ville magique permettait à toutes les races présentes de parler sans s'entre-tuer. Aucune haine ni discrimination... Les démons pouvaient venir et repartir sans créer de dégats ni de bagarres. La rumeur disait également que même eux, les démons, ne ressentaient plus l'envie de tuer d'humains dans cette ville, et, au grand étonnement de tous, qu'ils pouvaient même se faire des amis. Giran était donc la ville où les meurtres étaient quasi au point zéro, la ville où tout le monde se sentait en sécurité. Jamais on avait vu village plus joyeux ou commerçant que Giran.
Sunaï, qui avait été curieuse, avait décidé de faire un tour dans cette ville, pour vérifier ce qu'on disait. Ainsi, personne ne pouvait créer de conflits ? Elle doutait que, si elle voyait un démon, elle reste impassible à le regarder passer. Après tout, c'était leur race qui avait détruit son village, un des leurs qui avait assassiné ses parents... Ces démons puérils et diaboliques, ayant un seul but ; raser l'espèce humaine en faisant le plus de bains de sang possible pour nourrir leurs instincts répugnants.
Désormais, Sunaï était arrivée à la ville. En passant les portes, elle entendit les gardes parler avec enthousiasme d'un événement qui se passait ce soir-là. La mercenaire tendit l'oreille. D'après leurs propos, cela devait être quelque chose d'attendu... "La première fois qu'il y en a un à Giran !" disait l'un, "Une soirée qui va être superbe !" lançait un autre. Mais un troisième garde gâcha leur plaisir en leur rappelant que, eux, ils devaient garder la porte et qu'en aucun cas ils pourraient aller à cet événement. Sunaï se félicita elle-même d'être venue en cette soirée ; elle irait jeter un coup d'oeil à cet événement. La soirée était agréable ; l'été donnait à la nuit une température assez chaude et le léger vent qui soufflait sur la ville rafraîchissait ceux qui avaient trop chaud. Au loin, elle voyait une petite colline où un château surplombait la ville de ses murs ; sûrement la demeure du seigneur. Sunaï remarqua que depuis qu'elle était entrée dans la ville, elle se sentait plus sereine, comme si elle était persuadée que rien de mieux ne pourrait lui arriver ce soir-là. L'ambiance de la ville avait l'air de commencer à faire effet... La jeune femme passait dans les rues en direction de la grande place : elle imaginait que si quelque chose se passait dans la ville, c'était sûrement là-bas. Elle passa dans quelques rues marchandes que les commerçants avaient éclairées avec des lanternes pour vendre encore à cette heure tardive. Beaucoup d'habitants passaient encore dans les rues d'un air surexité et parlant beaucoup. Apparemment, l'événement de la soirée suscitait une grande agitation. Sunaï s'arrêta devant quelques étalages puis continua sa route. Après quelques minutes, elle arriva enfin à la grande place. Mais à sa grande surprise, il n'y avait plus de grande place : quelqu'un avait érigé un immense bâtiment, ressemblant à une sorte de chapiteau, sur celle-ci. Le chapiteau était assez gigantesque pour pouvoir accueillir plusieurs centaines de personnes, elle en était sûre. Une foule pullulait autour du bâtiment, certains hésitant à rentrer, d'autres attendant des amis. Les conversations étaient si nombreuses qu'elles créaient une sorte de bourdonnement. "Allez, viens ! cria une femme à son mari. On va bien s'amuser. Viens danser !" Une soirée dansante, alors ? La mercenaire fut tout à coup prit de court. Elle n'aimait pas danser. Sunaï s'avança vers l'entrée du chapiteau, hésitante, et essaya de voir ce qu'il y avait à l'intérieur ; sans succès. Finalement, après quelques interrogations, elle entra. Elle atterit dans une sorte de vestibule de taille moyenne. Sunaï, à travers les toiles qui servaient de murs, entendait de la musique et des rires. Elle s'approcha d'une fente entre les toiles après avoir regardé autour d'elle. Elle mit sa main dans l'ouverture pour pouvoir regarder, elle était curieuse de savoir ce que...

- Ah ! Une nouvelle cliente !

Sunaï sursauta. Une main se referma sur son épaule et la fit tourner. Elle regarda devant elle et vit, pour la première fois de sa vie, quelqu'un qui était vraiment ridicule simplement à cause de ses vêtements. L'homme était âgé - et la jeune femme fut étonnée de la force avec laquelle il l'avait agrippée à l'épaule - et portait des habits tout à fait singuliers : un pantalon rouge à carreaux jaunes, un survêtement gris à poids et, pour couronner le tout, un chapeau pointu ornait sa tête chauve.

- Venez, venez ! Pour pouvoir entrer dans la salle, il faut avoir une tenue correcte bien sûr ! J'ai tout ce qu'il faut là-bas (il désigna une ouverture qui donnait sur une autre pièce), je suis sûre que vous trouverez quelque chose à votre goût !

Sunaï ouvrit la bouche pour répondre mais elle n'en eut pas le temps. Le vieil homme continuait sa tirade sans se soucier de son avis.

- Je suis vraiment, vraiment très content, ce bal est une vraie réussite. Pour la première fois de ma vie, je crois que j'ai fait quelque chose de bien (il éclata d'un rire tonitruant). Tout le monde adore cette soirée. Allez, maintenant, allez vous préparer. Et n'oubliez pas de mettre un masque, c'est obligatoire. Un bal masqué sans masque n'en est pas un, n'est-ce pas ?

Et avant même que la mercenaire ait pu dire un mot, elle fut projeté de force dans la pièce à côté. Celle-ci était légèrement plus petite que la pièce qu'elle venait de quitter, mais cette impression était peut-être dû au grand nombre de vêtement qui prenait une place considérable : des robes, des costumes, des capes... Apparemment, les danseurs pouvaient choisir entre deux sortes de tenues : une tenue à proprement parler normale, une ensemble fait pour les soirées. Mais d'autres vêtements ressemblaient plus à des costumes qu'à autre chose, comme si on pouvait se faire une sorte de personnage.
Sunaï était mal à l'aise ; elle n'aimait pas danser, ni porter de robes, alors un bal masqué lui paraissait aussi bien que le fait de sauter d'une montagne de trois cent mètres. Elle se mordit la lèvre inférieure. Après tout, elle pouvait très bien jeter un coup d'oeil, non ? Elle n'avait encore jamais assisté à un bal masqué... Prenant sur elle, elle chercha alors une tenue qui pourrait lui plaire. Le fouillis de costumes lui rendit du mal à trouver la perle rare, mais elle finit par la trouver : une robe noire qui était cinturée d'un léger rubant de perles argentées en dessous de la poitrine. Elle partit dans des sortes de petites pièces aménagées pour se changer. Après avoir fait disparaître son épée dans le néant pour ne pas en être encombrée, Sunaï se déshabilla puis mit la robe. Elle sortit et chercha un masque assorti. Une étagère, sur un côté de la pièce, croulait sous les masques. Sunaï s'approcha de l'étalage et regarda un peu partout. Elle choisit alors un masque élégant assorti à sa robe. Elle le posa sur son nez ; le masque couvrait seulement le haut de son visage ; cachant principalement la zone autour de ses yeux.
Mal à l'aise, elle sortit et revint dans le vestibule d'entrée. Le viel homme bizarre était en train de parler avec de nouveaux arrivants. Lorsqu'i la vit entrer, il s'exclama :

- Voilà ! Parfait, parfait ! Vous voulez vous voir dans le miroir avant de rentrer dans le bal ?

Sunaï se retint de le frapper. Elle était déjà assez mal à l'aise et tirait sur sa robe, elle n'avait pas besoin de ça ! Mais le vieil homme lui mit de force le grand miroir à pieds sous le nez. Elle put voir alors son reflet ; elle ne se reconnaissait pas. Une jeune femme se tenait debout, une main crispée sur la robe qui lui descendait élégament sur le corps. Un masque légèrement argenté lui était posé sur le haut du visage, et on pouvait apercevoir ses joues et le haut de ses pommettes qui étaient rosées à cause du malaise qu'avait la mercenaire. Ses yeux marrons regardaient fixement le miroir à travers le masque, et ses traits fins étaient accentués à cause de ses cheveux qui étaient désormais remontés sur sa nuque en un chignon.

- Vous voulez peut-être que...

- Non, c'est bon, laissez-moi !

Sunaï avait parlé d'une drôle de voix. Elle partit ensuite vers l'entrée du bal, de plus en plus mal à l'aise. Elle rentra alors dans la grande salle. Celle-ci était remplie de gens, tous en costumes, et tous masqués. On ne voyait jamais en entier le visage de quelqu'un. Beaucoup de couples dansaient au milieu, ne connaissant pas leurs partenaires à cause des masques.
La mercenaire, après être restée debout comme une idiote, se dirigea vers un buffet. Elle n'était pas dans son élément, elle qui d'habitude était toujours sûre d'elle et sans gêne. Ses vêtements confortables et son épée lui manquaient déjà ! Tirant de plus belle sur sa robe, elle regarda les mets proposés au buffet. Ils avaient l'air tous succulents. Elle tendit la main pour se servir, mais, au passage, renversa du vin qui avait l'air succulent sur quelqu'un qui venait d'approcher.

- Oh, pardon !

Sunaï, les joues certainement en feu, leva les yeux vers la personne en face d'elle dont le costume était désormais tâché.

Une fois que Sunaï eut levé les yeux, elle vit devant elle un homme assez singulier. Pas autant que celui qui l'avait accueilli dans le vestibule du chapiteau, mais à sa façon. En tout cas, elle devait bien avouer que cela lui allait à merveille. Elle n'avait encore jamais vu quelqu'un porter de haut de forme. Il portait un costume chic qui lui donnait un air de grande noblesse et son masque était assorti au tout. Mais il enleva sa veste aussi rapidement qu'elle l'avait vue à cause du vin que Sunaï avait renversé et laissa voir une chemise blanche et simple. Il fit une remarque sur le vin qui était apparemment un grand cru. Sunaï se traita mentalement d'idiote pour sa bêtise, si en plus c'était un vin rare... Ce n'était pourtant pas dans son habitude d'être aussi maladroite ! Son malaise augmenta d'autant plus lorsqu'il lui servit un verre avec la bouteille désormais à moitié vide. Elle fut cependant étonnée lorsqu'il se pencha pour lui faire un baise-main. Son impression d'ignorance de ce genre de fête grandit en elle, après tout elle n'était jamais allée dans une soirée comme celle-ci. L'homme devant elle devait être habitué à tous ces événement frivoles... Cette pensée lui fut confirmée lorsqu'il annonça qu'il était l'organisateur du bal. Une personne d'importance, donc.

- ... peut-être qu'une danse vous détendras ne serait ce qu'un peu ?

Sunaï venait de se rendre compte des mots que l'homme au haut de forme venait de prononcer. Une danse ? Sunaï tripota nerveusement sa robe. Une chanson venait de se terminer, elle devait donc se décider vite. Danser... Elle regarda alternativement la piste de danse puis la main gantée tendue de l'organisateur du bal. Elle espérait que ce Tyki ne verrait rien de son malaise, et fut heureuse en cet instant de porter un masque. Son coeur s'était mis à battre plus vite qu'à l'ordinaire et ses doigts se serraient dangereusement sur le verre de vin qu'elle tenait à la main gauche. Bon... Après tout elle ne risquait rien, non ? A part faire une chute en pleine piste de danse simplement parce qu'elle se serait faite trébucher dans ses propres pieds... Décidemment, elle ne serait jamais à son aise dans un lieu comme celui-ci.
Sunaï croisa le regard du directeur du bal à travers son masque, un regard doré, profond, attendant sa réponse. Elle décida alors de prendre son courage à deux mains. D'ailleurs, elle ne serait pas mieux à rester au buffet à ne rien faire. Elle but alors une gorgée de vin, replaça le verre sur le buffet puis posa sa main droite dans celle de l'homme en lançant :

- Avec plaisir.

Tyki serra sa main avec douceur et l'entraîna sur la piste de danse lentement, mais juste à temps car la nouvelle chanson entamma ses premières notes. Lorsqu'il posa sa main sur sa taille, Sunaï demanda, en essayant de ne pas laisser paraître son apréhension :

- Vous donnez souvent ce genre de fêtes ? En tout cas... Ce bal est très réussi.

La mercenaire - enfin pour l'instant elle avait abandonné ce rôle - leva les yeux vers ceux de son partenaire de danse et attendit sa réponse. Leur danse venait de commencer et Sunaï espérait que ça allait bien se passer - pour elle en tout cas.
De toute façon... Ne disait-on pas que c'était l'homme qui devait mener la danse ?

A son grand étonnement, Sunaï se débrouillait plutôt bien en ce qui concernait la danse. Elle suivait les pas de son partenaire sans avoir de difficulté particulière. Son malaise diminua alors bien qu'elle restait inquiète. Les autres danseurs s'étaient arrêtés pour mieux les observer ; ils devaient former un couple étonnant. A moins que les invités voulaient tout simplement voir avec qui l'organisateur du bal, ce fameux Tyki, avait décidé de passer la soirée. La chaleur monta aux joues de la mercenaire, elle n'aurait pas l'air stupide si elle venait à faire le moindre faux pas... En temps normal, le regard des autres l'indifférait complètement, mais dans cette robe et au milieu de cette piste de danse, elle avait l'impression d'être quelqu'un d'autre, cela ne lui correspondait pas vraiment... Mais à son grand soulagement, les invités finirent par se désinteresser d'eux et recommencèrent à danser.
Tyki ne cessait de regarder Sunaï dans la prunelle de ses yeux et elle n'arrivait pas à détacher son regard non plus. Elle avait l'impression que si elle détournait le regard, son malaise deviendrait encore plus grand. Quelque chose l'appasait dans ces yeux dorés, mais elle ne savait pas quoi. Les yeux toujours rivés sur ceux de son partenaire, Sunaï souffla :

- Sunaï. Mon nom est Sunaï. Assez banal comme prénom, n'est-ce pas ?

La chanson jouait ses dernières notes. La chapiteau était toujours aussi rempli, voire presque plein. Les gens dansaient, parlaient, buvaient... Tout le monde semblait avoir envie de voir ce que donnait ce premier bal masqué à Giran, la ville sans conflits... On avait l'impression que la salle resplendissait de partout, avec les paillettes et les reflets des masques et des costumes. Un son... Une respiration... Et la musique se tut quelques instants avant de commencer la prochaine chanson. Les danseurs s'arrêtèrent d'un même mouvement, comme s'ils étaient tous reliés par un fil invisible. Sunaï, le regard toujours fixé sur celui de Tyki, hésita. Il avait peut-être envie d'aller voir ailleurs, de vérifier si tout se passait bien dans son bal, ou peut-être qu'il voulait danser avec quelqu'un d'autre...? Des notes de piano retentirent alors, annonçant le début d'une nouvelle chanson. Une chanson plus lente, plus douce. Les couples sur la piste de danse changèrent alors de position, au grand dam de Sunaï : les femmes passaient leurs bras autour du cou de leur partenaire pour que leur danse convienne mieux à la chanson. Sunaï observa les couples avec des yeux ronds. Elle n'allait pas agripper l'organisateur du bal de cette façon ! Elle ne pouvait tout simplement pas, elle ne le connaissait pas vraiment pour... La mercenaire s'arrêta dans ses réflexions quand elle vit que Tyki l'observait toujours intensément.

- Vous...

Gênée, Sunaï amorça un drôle de mouvement, partagé entre le fait de passer ses bras autour du cou de Tyki et celui de ramener ses bras le long de son corps. Elle ne savait pas ce dont il avait envie, après tout, s'il voulait continuer à danser ou non... La jeune femme ouvra légèrement la bouche pour parler mais se ravisa. Elle allait patienter pour observer la décision de son partenaire...

La tête posée sur le torse de Tyki, Sunaï pouvait entendre les battements de son coeur, ordonnés et d'un rythme normal. Il ne semblait pas montrer un quelconque signe de malaise ou autre, il avait l'air parfaitement calme, comme s'il faisait ça tous les jours. Même un poisson dans l'eau, dans son élément, aurait paru nerveux par rapport à l'organisateur du bal. Les bras croisés derrière le cou de son partenaire, son corps contre le sien, la jeune femme avait l'air en pleine réflexion. Mais ce n'était pas vraiment le cas. Au contraire, elle essayait de faire le vide dans sa tête, pour pouvoir pleinement apprécier ce moment. N'ayant jamais vraiment dansé dans d'autres soirées et n'ayant pas l'intention de réitérer l'expérience - après tout elle était mercenaire, pas une de ces filles qui se pavanaient dans toutes les soirées qu'elles pouvaient trouver, non ? -, Sunaï essayait de graver chaque instant dans sa mémoire. Cette soirée n'était pas si désagréable, c'était même le contraire, et elle devait avouer que le fait de danser avec l'organisateur du bal lui apportait un drôle de sentiment, un peu comme la sensation de se sentir beaucoup plus féminine, elle qui ne s'était jamais occupée de sa vie sentimentale. Bien que Tyki ait un masque sur le visage, la jeune femme ne pouvait que constater qu'il avait du charme. Cette pensée la fit rougir légèrement, mais ce ne fut rien comparé au torrent de feu qui s'agglutina sur ses joues lorsqu'il lui souffla à l'oreille un compliment très flatteur. Ne sachant pas quoi répondre, Sunaï ne dit rien, et la danse commença. Etrangement sereine, la mercenaire ferma les yeux pour sentir pleinement les mains de Tyki dans son dos, leurs corps collés l'un contre l'autre sans pour autant être trop serrés, l'odeur de la chemise de son interlocuteur... Celui-ci lui dit quelque chose qui sembla être une sorte de présentation, mais Sunaï l'écouta d'une seule oreille. Silencieuse, elle ouvrait quelques fois les yeux mais ne les gardait pas longtemps ouverts. De plus en plus sûre d'elle, elle se contentait de suivre le mouvement lent et doux de la chanson, de sentir le souffle de son partenaire dans son cou... La musique continua sur sa lancée et tous les danseurs semblaient absorbés dans leur danse, gardant le silence. On pouvait entendre quelques chuchotis par moment, mais cela ne durait pas longtemps ; tout le monde essayait de profiter de l'instant présent. Sunaï pensa avec apréhension le moment où la soirée toucherait à sa fin. Il y avait toujours une fin, toujours, dans n'importe quel domaine qui soit, de l'amour à la haine, de la journée à la nuit, de la vie... La jeune femme chassa ces idées de son esprit et se serra plus sur Tyki, comme si elle avait peur qu'il se volatilise en fumée. Elle eut une pensée pour son compagnon de voyage, et se retint de rire en pensant à ce qu'il dirait : "Eh bien, elle a l'air bien, la guerrière, "L'éclair de Feu", dans cette robe et ce bal...". Quel changement de personnalité, tout à coup ! Elle s'étonnait elle-même. Pendant un instant, Sunaï eut l'impression que Tyki était plus tendu, mais cette impression parti aussi vite qu'elle était arrivée. Cependant, peu après, il lâcha un soupir. La jeune femme ouvrit lentement les yeux, voyant le buffet dans son champ de vision. S'ennuyait-il ? L'assurance qu'elle avait aquise au cours des dernières secondes fut troublée mais Sunaï s'efforça de ne pas y penser. Il était sûrement dans ses songes et était peut-être soulagé de quelque chose... Se demandant à ce dont Tyki pouvait bien penser, Sunaï referma les yeux. Elle ne savait pas combien de temps ils avaient dansé, la chanson allait-elle bientôt se finir ou au contraire n'était-elle qu'à son commencement ? Dans un souffle, mais d'une voix assez élevée pour que Tyki l'entende, la jeune femme posa une question assez simple :

- Que faites-vous dans la vie ? Organisez-vous toujours des soirées comme celle-ci ? Vous devez...

Mais elle s'interrompit lorsque la musique s'arrêta brusquement, et leva légèrement la tête pour voir la cause de ce soudain silence. L'homme qui l'avait accueilli lorsqu'elle était entrée dans le chapiteau, celui aux airs de bouffons de roi avec son pantalon à carreaux, se tenait désormais sur la scène où Tyki avait fait une annonce un peu plus tôt. Il avait un grand sourire accroché sur les lèvres et lança, haut et fort pour se faire entendre de tous :

- Eh bien, mesdames et messieurs ! L'heure que vous attendiez tous est arrivée ! (Il sourit de toutes ses dents, comme si rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de parler à la foule devant lui) L'horloge va bientôt sonner les douze coups de minuit, il est temps de retirer vos masques ! Faites plus ample connaissance avec votre partenaire !

Il lança un regard triomphant à travers la salle. La mercenaire, elle, pensa : déjà ? Elle était arrivée il y avait un quart d'heure à peine ! Apparemment, elle était entrée dans le bal alors que la nuit avait commencé depuis un moment... L'homme au pantalon à carreaux continua son discours :

- Bien sûr, la fête continue ! Amusez-vous ! Maintenant, tout simplement, c'est à vous de décider si vous remettez vos masques ou non... (Il avait ajouté ces mots avec une lueur mesquine dans le regard)

Il fit un signe à quelqu'un que Sunaï ne pouvait pas voir et la musique reprit. C'était la fin de la chanson sur laquelle elle avait passé ses bras autour de Tyki, mais personne ne semblait avoir envie de recommencer à danser. Tout le monde était figé dans une sorte d'ambiance d'attente, comme le moment qui précède celui où on se jette à l'eau, ou encore celui où la peur vous tenaille le ventre avant un premier baiser...
Sunaï décolla sa tête du torse de son partenaire et plongea ses yeux dans son regard suave, un peu gênée à l'idée de montrer son visage, mais curieuse de voir celui de Tyki... Voulait-il enlever son masque en premier ou préférait-il qu'elle le fasse d'abord...?

Sunaï n'avait pas vraiment compris ce qu'il s'était passé. Tout d'abord, elle fut étonnée du fait que Tyki travaillait dans les mines. Ce n'était pas vraiment ce qu'elle imaginait ; voici donc la preuve qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences. Ensuite, l'homme qui venait de faire son discours s'était dirigé vers leur couple, toutes lumières braquées sur eux. En fait, tout allait bien jusqu'à ce moment-là. Le valet avait désigné Tyki comme l'organisateur, puis ensuite... comme le juge des démons. Avant que Sunaï n'ait pu assimiler ces paroles, avant même qu'elle puisse réagir, Tyki l'avait regardée d'un air désolé et l'avait lâchée pour parler à l'assemblée. Une foule avait alors surgit, principalement constituée d'admiratrices qui hurlaient des paroles complètement folles ; elles étaient toutes intéressées par l'organisateur, le seul, l'unique, et Sunaï eut brusquement un accès de colère, surtout lorsque cette foule de femmes hystériques la propulsa loin du lieu où elle dansait avec Tyki quelques instants plus tôt. Toujours scandalisée, la jeune femme essaya d'apercevoir Tyki, qui avait enlevé son masque, mais ne vit pas grand chose, une telle masse de femmes l'entourait qu'il était impossible de le regarder correctement. Sunaï profita alors de cet instant pour faire revenir son esprit sur les paroles du valet. Le juge des démons. Un démon ! Ce mot résonna étrangement dans sa tête qui marchait désormais au ralenti, comme si elle s'était tout d'un coup vidée, comme si son cerveau n'y était plus. Quelque chose titilla sa mémoire, un souvenir remua dans son esprit, mais elle ne se rappela pas, elle n'y arrivait pas. Un démon... Décidément, cela la faisait réfléchir. Elle fronça les sourcils à cause de son effort pour se rappeler en quoi ce mot lui disait quelque chose. Ses parents flottèrent un moment dans ses souvenirs, mais rien de plus... L'impression que les démons étaient dangereux ne s'asimilait plus dans sa tête, elle n'avait même plus la notion de ce qu'était un démon ; la magie de la ville de Giran faisait effet... Un démon ? Sunaï avait arrêté de froncer les sourcils. Après tout, cela faisait quoi, qu'il était un démon ? Avait-il fait quelque chose de déplaisant dans la soirée ? Pourquoi réfléchissait-elle à ce sujet depuis tout à l'heure ?
Reprenant peu à peu ses esprits, Sunaï regarda autour d'elle. La foule s'était dispersée, Tyki n'avait plus l'air d'être entourée de toutes ces femmes. Plusieurs couples avaient recommencé à danser, certains ayant remis leurs masques, d'autres non. La jeune femme pensa alors qu'elle n'avait pas encore retiré son masque. Elle allait devoir le faire, sinon elle risquait de se faire réprimander par de quelconques surveillants du bal... Mal à l'aise, Sunaï chercha Tyki du regard. Où était-il ? Elle ne le voyait pas là où il avait été accueilli par la foule de danseuses. La mercenaire remarqua alors un groupe de trois femmes, toujours avec un air plein d'admiration, regarder dans un coin. Elles gloussaient comme des fillettes. Sunaï leur jeta un regard noir. Etrangement, le fait qu'elle ait dansé avec l'organisateur lui donnait le sentiment qu'aucune autre femme ne devait l'approcher durant la soirée. C'est alors qu'elle le vit ; il venait de s'approcher du buffet, son regard cherchant quelque chose - ou quelqu'un. Elle put alors voir son visage en entier, sans son masque, sans rien, pas même une seule femme, pour lui gâcher la vue. Son teint légèrement tanné donnait à son visage l'air de quelqu'un qui rentrait d'un mois de vacances au soleil. Ses yeux dorés étaient en harmonie parfaite avec son nez droit, sa bouche... Pour le tout, ses cheveux encadraient son visage à merveille. Menée par une inspiration soudaine, Sunaï s'approcha lentement en retirant son masque de la main droite. Elle espérait qu'il ne la verrait pas de suite, elle voulait avoir un effet de surprise. Une fois arrivée au buffet, elle attrapa un verre de vin avec un sourire en coin, et lança, toujours en souriant, sans regarder Tyki :

- Un homme particulièrement attirant m'a dit que ce vin était un grand cru exceptionnel.

Elle fit semblant de s'intéresser au contenu de son verre en le faisant tourner dans sa main. Enfin, elle se tourna vers Tyki, le regarda dans les yeux. Cette fois-ci, pas un seul masque ne cachait un visage, ils pouvaient s'observer sans obstacle.

- Voulez-vous toujours partager votre soirée avec une femme qui n'a rien de spécial ?

Sunaï avait tout oublié, oublié qu'il était un démon, oublié qu'elle était une mercenaire... Pour l'instant, plus rien ne comptait, à part l'homme qui se tenait devant elle...

Le souffle court, Sunaï laissait le juge des démons caresser son visage sans rien faire. C'était la première fois qu'un homme s'approchait d'elle de cette façon, et elle ne savait pas vraiment comment réagir. A l'origine, la mercenaire aurait arrêté l'inconnu capable d'une telle hardiesse et lui aurait assené un coup au passage, le traitant de coureur de jupons sans scrupules. Mais cette fois-ci, quelque chose l'en empêchait, et elle n'avait pas du tout envie de faire une chose pareille. L'ambiance de Giran était-elle si douce et joyeuse au point de changer sa personnalité ? Le regard plongé dans celui de Tyki, la jeune femme ouvrit légèrement la bouche pour parler. Cependant, rien ne lui vint en tête, aucun son ne sortit d'entre ses lèvres. Elle soupçonnait le fait que la main du démon lui faisait perdre ses moyens. Cette douce caresse, bien qu'elle ne signifiait pas grand chose - enfin, c'est ce qu'elle s'efforçait de penser -, lui laissait des traces brûlantes sur la joue. Etait-ce la main de cet homme qui était si chaude ?
Voyant du coin de l'oeil que certaines femmes lui lançaient des regards assassins, voire même quelques signes grossiers de la main, Sunaï esquissa un sourire. Le regard du juge toujours sur lui, elle finit par répondre :

- Qui sait ? Peut-être q'un carosse m'attends dehors pour m'emmener loin d'ici...

Sunaï, ne bougeant pas d'un chouya, après avoir posé son verre de vin sur la table, attrapa délicatement la main de Tyki toujours posée sur son visage et l'éloigna en douceur. Chaque particule de son corps protesta contre l'arrêt de ce contact, mais la jeune femme n'y fit pas attention.

- ... Mais, pour l'instant, le carosse attendra...

Elle serra la main du juge pour lui indiquer qu'elle était prête à danser à nouveau, et détailla une nouvelle fois le visage de l'homme en face d'elle. A vrai dire, Sunaï n'arrivait pas à croire que Tyki était un démon. Bien qu'en ce moment même, elle n'ait en aucun cas conscience de ce que cela pouvait signifier, elle était curieuse de savoir pourquoi il lui avait caché ce détail. Cela l'intriguait ; son esprit y accordait plus d'attention qu'elle ne le voudrait. Alors, elle demanda :

- Pourquoi ne m'avez-vous pas dit que vous étiez... un juge des démons ?

Comme pour répondre à ses paroles, le son de la nouvelle chanson s'éleva dans le chapiteau dans une longue note sonore, attendant les danseurs...